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Bof-Bof.

Klaire
5 min readJan 20, 2018

Donc, il y a eu ce post d’un prof qui a beaucoup plu, beaucoup été partagé en tout cas. [ND : Pour se moquer de ses élèves qui n’ont pas lu le bouquin demandé, il leur prévoit un contrôle sur Oui-Oui, avec des questions stupides niveau bébé, l’idée étant “ok alors je vais vous faire bosser sur un truc à votre portée donc super nul”]

Ça m’a un peu fâchée, et j’ai commencé à voir d’autres gens se fâcher un peu. Parce qu’on peut comprendre une forme de désespoir latent chez les profs, et que probablement qu’il faudrait plus de temps, de pognon, de considération pour l’éducation, ça c’est sûr.

Mais là, ça fâche un peu, parce que humilier les élèves, parce que le petit lol-mépris qui se dégage de ça n’est pas nouveau, et qu’il ne fait pas avancer le schmilblik. Contrairement peut-être à des initiatives comme celles-ci, qui donnent vachement plus envie de se dire que c’est possible. Pas qu’ils sont tous des abrutis, et puis zou.

Ça, ça a été dit. Mais en plus de ça, il y a ce truc qui me titille, ce truc d’opposer la Culture, la vraie, la Bien, à Oui-Oui, le nul, le Rien. Et ça m’énerve un chouille, parce que ça me parait contre-productif. C’est nul, Oui-Oui ? Oh, oui. Mais pour quelles raisons ? Nul comment ? Y-a-t il du beau dans le Nul ? Du grave, du politique ? Ou pas ? Après tout, la culture est partout, les superpouvoirs des Pokemon sont passionnants, ceux de la mythologie gréco-romaine aussi. Zeus se transforme en cygne, Tortipouss évolue en Boskara, y’a quoi. Il y a du bon et du mauvais dans ce que véhiculent ces deux univers, ce qui est intéressant, c’est de réfléchir à comment, pourquoi; et ici, que dit Oui-Oui du XXe siècle ? Des trucs, c’est certains.

Oui-Oui ? Ok, Oui-Oui. Eh ben c’est fou comme Oui-Oui reflète des problématiques actuelles, des questions fondamentales — auxquelles je n’ai pas de réponse ferme, mais qu’il me semble passionnant de se poser.

Donc, “Oui-Oui et Les Questions En Fait Ultra Actuelles”. Eh bien par exemple, Oui-Oui, d’Enid Blyton, dans ses premières éditions, contient une famille de “Golliwogs”, des poupées de chiffon représentant une caricature de Noir américain, et accusée assez vite de véhiculer des stéréotypes racistes odieux, dans une vision très proche de la problématique des Blackfaces, et inspiré également des Minstrel Shows.

Ici, les Golliwogs sont des petits salopards qui piègent Oui-Oui pour le voler : dans “Here Comes Noddy Again”, ils prétendent demander de l’aide à notre héros pour l’emmener dans les bois lui voler sa voiture et ses fringues. Bonne ambiance.

Noddy: The Golliwog Comes — Source : https://imgur.com/gallery/VZHJm

Un nouvel épisode de Oui-Oui a été écrit il y a quelques années par la petite-fille d’Enid Blyton, Sophie Smallwood, et sans ces personnages. Une décision qui fait débat. Là tout de suite, mon envie n’est pas d’y répondre, mais de dire HEYYYY, mais y’aurait pas un sujet, là ? Un questionnement, pour un prof de français ? Faut-il considérer une oeuvre comme le reflet de son époque et la laisser dans son jus ? Comment gérer le racisme, le sexisme, ou les relents pédophiles qui nous sautent désormais de plus en plus aux yeux en lisant, matant ou écoutant des oeuvres d’un autre temps ? Faut-il rééditer Céline, et si oui comment, faut-il rééditer Oui-Oui et si oui comment. En voilà des questions passionnantes pour un cours de français, non ? Comment le champ lexical des personnages de Oui-Oui encourage une vision colonialiste et raciste du monde ? Relevez-le. En quoi la structure d’un épisode de Oui-Oui est révélatrice d’une simplification de la pensée ? Ou pas ?

La chanteuse Lââm (et pourquoi pas) a-t-elle raison de penser que publier Céline, c’est comme publier un livre anti-roux , ou a-t-elle tort et vaut-il mieux connaitre et diffuser l’Histoire telle quelle pour la critiquer au plus juste ? Faut-il changer le titre des “10 petits nègres” d’Agatha Christie, — comme la même chanteuse le demandait, ou est-il possible de préserver la matière culturelle, miroir de nos erreurs et de nos horreurs, à condition de lui ajouter un regard critique ? Si vous deviez publier une édition critique de Oui-Oui à la ferme, qu’annonceriez-vous au lecteur ? Vous devez tenir le compte Twitter de Lââm lors d’un live-tweet de Oui-Oui. Appliquez la logique de pensée de la chanteuse sur l’oeuvre de Céline à cette critique de Oui-Oui sous forme de 15 x 360 caractères, l’usage de la calculatrice est interdit. Vous pensez que je rigole ? Non, ça me parait passionnant, vraiment. J’adore les alexandrins, j’adore aussi les threads twitter bien foutus, l’un n’empêche pas l’autre, et je crois que la littérature, la culture, c’est comme le monologue d’Edouard Baer que tes potes croient qu’ils connaissent pas coeur alors qu’ils connaissent que le début : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise situation.

Dans le reste de l’oeuvre d’Enid Blyton — qui, tiens, d’ailleurs est une femme, alors que j’ai toujours pensé que c’était un homme, et c’est par ailleurs l’occase de lire ce papier de Titiou Lecoq sur les écrivaines effacées de la littérature — il y a aussi le Club des Cinq. Egalement rééditée récemment, cette oeuvre a aussi fait débat, notamment par le sexisme de son discours, édulcoré dans la réédition. Encore une fois, l’idée ici n’est pas de donner mon avis là-dessus, mais EH SANS DEC, n’est-ce pas là une formidable occasion de comparer deux textes, déterminer ce qui fait le sexisme de l’un, ce qui disparait dans l’autre, la connotation péjorative de tel mot, ou pas, comment tel champ lexical traduit un snobisme révélateur d’une époque et/ou d’un privilège de classe ? ou pas ?

Oui, c’est le Club des Cinq, oui c’est un bouquin pour enfant, certes, Oui-Oui aussi est un livre pour minots, probablement à chier ; et alors ? Justifiez l’utilisation du qualificatif “à chier” en analysant un épisode, imaginez un épisode de Oui-Oui façon Black Mirror, écrivez-lui une lettre en langage oui-oui pour lui expliquer les Pokemon, (ou écrivez-la moi, parce que j’ai toujours pas compris.)

Collégiens, lycéens : j’ai ptet pas raison, mais je crois que les bidules culturels, les trucs qui méritent de réfléchir, travailler, cogiter, ou développer son esprit critique sont potentiellement partout. Si-si.

Attrapez-les tous ?

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Figurez-vous qu'on dit autrice.

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